
Exquise exposition sauce anglaise sous le titre The Vulgar (Fashion Redefined) à Londres. Là où l’on pouvait s’attendre à découvrir du mauvais goût, de la vulgarité, l’exposition donnait à voir des vêtements plus beaux les uns que les autres. La définition du mot serait-elle différente chez Shakespeare ? Apparemment non. Le sens, dans les deux langues, est proche de l’actuelle acception qui remonte au 17e siècle. Si vulgar s’approche dans le sens de common, qu’est ce qui peut rendre la perception du vulgaire ? C’est l’oeil qui analyse, décide et qui juge.
« The vulgar exposes the scandal of good taste » dans une exposition qui tente de montrer que nombre de créateurs n’ont eu de cesse de repousser les frontières, les limites de la création pour provoquer. Au fil du temps, la notion de vulgaire a évolué, intégrant ce qui avait pu être vulgaire à une époque et allant jusqu’à lui donner plus tard une nouvelle noblesse ainsi l’éventail. Dans les années 60 Mary Quant avait une jolie définition du mot : « People call things vulgar when they are new to them ». La vulgarité serait-elle parfois liée à cette notion de nouveauté, d’inédit ? La nouveauté intrigue, interpelle, choque parfois. Et puis le temps oeuvre et assimile
Souvent la relation avec le corps définit la vulgarité dans l’excès. Trop de peau, trop de parures, trop de richesses, trop de volumes, trop de couleurs… La vulgarité de l’excès ? Les questions se bousculent.
L’exposition se découpe en 11 thèmes.
- Translating the vulgar. Le vulgaire dans ses essais pour s’inspirer du passé, pour l’intégrer dans une nouvelle histoire. Se tourner vers d’autres civilisations. L’antiquité de nouvelles déesses fut à maintes reprises réinterprétée. La robe Casanova de Karl Lagerfeld pour Chloé et les drapés antiquisants de madame Grès ou plus contemporains de Sophia Kokosalaki réécrivent l’antiquité dans le temps présent.

La nudité ? L’ambiguïté du paradis perdu où le vêtement devient pêché et où paradoxalement la nudité symbolise la pureté. Recréation en mode avec Walter van Beirendonck et ses trompe-l’oeil de corps humain bodybuildés, poilus ou aussi parfois scarifiés, percés… Vivienne Westwood et ses corsets aux motifs de tableaux de Boucher pour gorges déployées ou sa combinaison baptisée Ève, un collant chair oblitéré d’une pudique feuille cache sexe. Trompe-l’oeil toujours avec Schiaparelli d’hier et d’aujourd’hui. Margiela et son imprimé sequins.
Art et mode avec notamment l’iconique robe Mondrian d’Yves Saint Laurent, oeuvre entre deux mondes.
- Showing of. L’exubérance de tenues sophistiquées, imposantes dans un volume complexe, dans la création, le décorum. Des robes magnifiques de Jeanne Lanvin, de Christian Lacroix… Jusqu’à la collection Van Gogh des Viktor et Rolf et leurs extravagantes robes bucoliques sous chapeaux épis de paille.
- Puritan. Si la vulgarité réside dans l’excès, elle peut aussi, même sous un voile de pudibonderie, montrer des signes discrets de son existence. Ainsi les robes puritaines du 17e siècle, sombres, modestes, austères, mais qui avec l’ajout d’un col de dentelle invitent la féminité voire la séduction.
- Extreme bodies. Le vulgaire est créé, il n’existe pas à l’état naturel que ce soit parmi les végétaux, les animaux… Pas vulgaire au départ, le corps humain ne le devient que par des choix de vêtements, par des assemblages. La vulgarité est aussi souvent associée au sexe, à la notion de trop montrer. En mode, cela peut se traduire par un jeu sur les (dis)proportions. Corps (sur)exposés chez Pam Hogg avec tenues en lanières de cuir et une approche d’une vision fétichiste de la mode. Le costume de bain est provocation chez Rudi Gernreich qui ose lancer dans les années 60 un monokini, soit juste une culotte, des bretelles croisées et les seins à l’air.
LONDON, ENGLAND – OCTOBER 12: The Vulgar: Fashion Redefined, Barbican Art Gallery, 13 October 2016 – 5 February 2017>> on October 12, 2016 in London, United Kingdom. (Photo by Michael Bowles/Getty Images for Barbican Art Gallery) Jeux de dentelles, provocation de la transparence. Corps amplifiés, exagérés de Walter van Beirendonck avec éléphant crinoline. Faux-cul de Vivienne Westwood dans ses collections de mode inspirées du passé et dans la forme du sac imaginé pour Vuitton.
- Too popular. Là le choix de la culture pop entraîne vers le quotidien. Démultiplication de la boîte de soupe Campbell iconisée par Andy Warhol et qui devient robe en non tissé quasi jetable. Jeremy Scott et ses divagations autour de l’univers et des couleurs jaune et rouge de Mac Donald pour Moschino en vêtements et accessoires (sac, étui de téléphone…).
- Common. Le plus simple, le plus commun, le plus utilisé, un tissu rebattu comme le denim, père du jean mais qui peut être réinterprété dans une autre dimension avec une création, un style pour échapper à sa banalité et à sa modeste condition. Ainsi des modèles de Miu Miu, Vuitton…
- The vulgar tongue. Retour aux sources d’un langage commun, de traditions populaires comme le choix de Christian Lacroix de revivifier son pays d’Arles avec des traditions provençales revisitées et transformées en sublimes créations couture. Un exquis retour aux sources, une plongée dans les us et coutumes.
- Impossible ambition. L’aspiration à être quelqu’un d’autre avec l’aide, le support d’un vêtement qui permet de changer de catégorie. Ambition sociale certes, mais aussi rêveries les plus folles pour atteindre un monde imaginaire comme avec Undercover pour qui la mode est particulière, extravagante et originale : « We make noise not clothes ». Galliano pour Dior a multiplié les échappées belles vers d’autres mondes, l’histoire, l’exotisme, Pocahontas… un maître de l’évasion.
LONDON, ENGLAND – OCTOBER 12: The Vulgar: Fashion Redefined, Barbican Art Gallery, 13 October 2016 – 5 February 2017 on October 12, 2016 in London, United Kingdom. (Photo by Michael Bowles/Getty Images for Barbican Art Gallery) - Os and spangles. Les corsets du passé dans les tissus les plus précieux. Un accessoire qui reprend vie et s’exhibe comme chez Jean Paul Gaultier. Chez Prada une collection qualifiée de post moderne, collage d’éléments, assemblage hétéroclite et coloré (ce mélange n’est d’ailleurs pas sans faire songer aux créations Jean Charles de Castelbajac bien des années plus tôt). Et des paillettes en veux-tu en voilà.
LONDON, ENGLAND – OCTOBER 12: The Vulgar: Fashion Redefined, Barbican Art Gallery, 13 October 2016 – 5 February 2017 on October 12, 2016 in London, United Kingdom. (Photo by Michael Bowles/Getty Images for Barbican Art Gallery) - The new baroque. Là où l’excès devient la norme dans des collections extravagantes. Nicolas Ghesquière pour Vuitton associant toile de Jouy et métal. Iris van Herpen et ses sublimes créations futuristes avec matériaux atypiques, plastique, métal…
- Ruling in and ruling out. Les codes, l’étiquette, les lois somptuaires. Ce qu’il faut faire ou ne pas faire.
Une sélection jubilatoire qui donne à réfléchir sur ce mot, même si les choix peuvent sembler une joyeuse auberge espagnole où le plaisir des yeux à peut-être induit la réflexion. En tout cas cette exposition ne peut qu’inciter à regarder la mode avec davantage d’indulgence pour ceux qui créent, qui osent… L’échelle des valeurs d’une quelconque appréciation n’ayant rien d’universel.
Et une dernière pirouette de Jenny Holzer sur la route de la vulgarité : « Money creates taste ».
L’exposition est finie, mais demeure un très intéressant catalogue nourri de textes et suivi d’interviews de Stephen Jones, Walter van Beirendonck, Zandra Rhodes, Manolo Blahnik, Pam Hogg, Christian Lacroix et Hussein Chalayan.
Photo by Michael Bowles/Getty Images for Barbican Art Gallery
magnifique
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